Violences sexuelles en milieu professionnel : quelques repères pour intervenir
Dr Nathalie Sierra Scroccaro, psychologue clinicienne en pratique libérale à Rennes
Vacataire d’enseignement au CNAM Bretagne sur la PST 002, PST 124 et PST 120
Ce type de violences sexuelles inclut tout acte à caractère sexuel non consenti, verbal ou physique, ayant lieu dans un cadre professionnel. En France, 1 femme sur 3 rapporte avoir été victime de harcèlement sexuel au cours de sa carrière (IFOP, 2018), et environ 12 % des hommes déclarent avoir subi des comportements sexuels non désirés au travail (INSEE,2022). Elles représentent une problématique complexe et largement sous-estimée.
Les causes structurelles des violences sexuelles au travail
Ces violences se manifestent souvent dans des contextes où le pouvoir est déséquilibré, amplifiant ainsi certaines vulnérabilités individuelles. Elles sont également renforcées par des dynamiques structurelles telles que :
• La hiérarchie : Les environnements fortement hiérarchisés, comme l’armée ou le secteur de la santé, sont plus exposés.
• Les inégalités de genre : Les femmes sont disproportionnellement affectées, particulièrement celles issues de minorités ou en situation précaire.
• La précarité : Les jeunes travailleurs, les femmes migrantes et les salariés en contrats précaires sont davantage à risque (OIT, 2023).
Par ailleurs, les violences sexuelles peuvent aussi se manifester par des canaux numériques. En télétravail, par exemple, 25 % des femmes déclarent avoir reçu des messages ou appels à connotation sexuelle de collègues ou supérieurs. Ces nouvelles formes dématérialisées de violences restent malheureusement encore trop souvent difficiles à identifier et à sanctionner (Sierra-Scroccaro, 2022).
Les impacts sur la santé et la performance professionnelle
Les violences sexuelles au travail ont des effets délétères sur :
1. La santé mentale : Elles sont associées à l’anxiété, la dépression et le stress post-traumatique.
2. La santé physique : Elles provoquent des troubles psychosomatiques (insomnies, douleurs chroniques) et des maladies liées au stress.
3. Les performances professionnelles : Les victimes présentent souvent une baisse de productivité, un désengagement professionnel, voire une volonté de quitter leur emploi
4. Les relations professionnelles : Les dynamiques d’équipe sont perturbées par ces violences, entraînant des tensions et une perte de confiance entre collègues.
Les zones grises et la question du consentement
Un des défis majeurs réside dans l’identification des comportements inappropriés, notamment dans des situations où :
• Les notions de consentement sont ambiguës ou mal comprises.
• Les comportements sont perçus différemment selon les contextes culturels ou organisationnels.
• Les victimes elles-mêmes prennent conscience de la violence subie seulement après coup, rendant le signalement tardif et plus complexe.
Ces « zones grises » exigent une sensibilisation accrue et des protocoles clairs pour encadrer les comportements au travail (Sierra-Scroccaro, 2022).
Pistes d'intervention pour les psychologues et les organisations
Face à ces constats, les psychologues et les responsables organisationnels ont un rôle déterminant pour prévenir, repérer et intervenir.
1. Sensibilisation et prévention
• Former les professionnels : Proposer des ateliers pour comprendre les différentes formes de violences sexuelles et leurs impacts.
• Promouvoir une culture de respect : Élaborer et diffuser des politiques antiharcèlement claires et accessibles à tous
• Encourager les signalements : Mettre en place des canaux anonymes et sécurisés pour permettre aux victimes de s’exprimer librement.
2. Détection et action rapide
• Sensibiliser les managers et RH : Former les responsables à détecter les comportements problématiques et intervenir rapidement pour protéger les victimes.
• Analyser les dynamiques organisationnelles : Étudier la perception des violences sous forme d’enquêtes ; dans différents milieux pour adapter les stratégies de prévention
3. Soutien aux victimes
• Offrir un accompagnement psychologique : donner la possibilité aux victimes à verbaliser leur expérience et amorcer un processus de guérison et/ou les orienter dans
es dispositifs de santé mental appropriés
• Travailler en collaboration pluridisciplinaire : Coopérer avec des avocats, des médiateurs, et des associations spécialisées pour un soutien global.
4. Responsabilisation des agresseurs
• Encourager les recours juridiques : Sensibiliser les victimes sur leurs droits et les accompagner dans leurs démarches légales.
• Accompagner les auteurs : Proposer des programmes de réhabilitation pour les aider à comprendre et changer leurs comportements.
En résumé, les violences sexuelles au travail reflètent souvent des cultures organisationnelles défaillantes. Un travail collectif et interdisciplinaire est nécessaire, impliquant les psychologues, les managers, les juristes, et les associations pour promouvoir des environnements de travail inclusifs, où chaque individu est respecté et protégé et venir en aide aux victimes comme aux agresseurs. En pratique, il s’agit souvent d’adapter les outils et les interventions aux spécificités des organisations et des individus tout en plaçant l’humain au coeur des politiques professionnelles pour espérer un changement durable et significatif.
IFOP. (2018, 23 mars). Les Françaises face au harcèlement sexuel au travail, entre méconnaissance et résignation - IFOP.
• INSEE. (2022, 3 mars). Femmes et hommes, l’égalité en question.
• Organisation internationale du travail (OIT), 2023. Données d’expérience sur la violence et le harcèlement au travail : première enquête mondiale [2021].
• Sierra-Scroccaro, 2022. Les violences sexuelles : approches cliniques et thérapeutiques. Paris : In Press.
Posté le 05/03/2025